
Moyen Âge fantastique : le serpent et le dragon
La figure du serpent et du dragon est très complexe, y compris d’un point de vue symbolique. C’est pourquoi nous aborderons ici certains aspects sans prétendre épuiser le sujet.
Commençons par dire qu’il n’est souvent pas facile de distinguer le serpent du dragon et d’autres monstres similaires dans l’iconographie romane. Le dragon, d’un point de vue iconographique, ne sera codifié qu’à la fin du Moyen Âge.
Le dragon joue un rôle fondamental dans l’Apocalypse de Jean. Opposé à Dieu, il apparaît notamment dans les chapitres 12 et 13. En 12,17, nous le voyons aux prises avec la Femme en travail, Michel et « ceux qui observent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus ». Dans ce contexte, le dragon est l’image de la force du mal, à tel point qu’il est capable de conférer « puissance » et « grande autorité » à la bête venue de la mer, c’est-à-dire au pouvoir politique (Apocalypse 13,2-4). On a presque l’impression, dans ce passage, d’être confronté à une influence du manichéisme, étant donné qu’il semblerait attribuer au mal la même puissance que les forces du bien.

Cependant, Jean dit de la bête qui vient de la terre et qui a des cornes semblables à celles de l’Agneau (Apocalypse XIII,11) qu’elle « parlait comme un dragon ». Et c’est la dissimulation typique de l’Antéchrist.
Le serpent a toujours frappé l’imaginaire collectif, surtout dans le domaine agricole, étant donné sa propagation dans les campagnes. Le fait qu’il disparaisse complètement dans son terrier a déterminé son lien avec la terre et les enfers. On disait aussi qu’il avait le pouvoir d’enchanter par son regard.
De plus, comme on disait qu’elle naissait d’œufs, le serpent était associé aux oiseaux. C’est pourquoi on la voit souvent représentée avec des ailes, tout comme le dragon.
Il était étonnant que le serpent perde périodiquement sa peau pour en retrouver immédiatement une nouvelle. Il devint ainsi le symbole de la vie qui se renouvelle d’elle-même et de la pérennité de l’existence.
Tertullien, s’appuyant sur les naturalistes classiques, affirmait que le serpent avait la capacité non seulement de changer de peau, mais aussi d’âge. Selon Tertullien, cet animal, lorsqu’il sentait le poids des ans, s’enfonçait dans un passage étroit et, en s’écorchant, en ressortait avec une nouvelle peau et rajeuni. Le serpent devenait ainsi le symbole du temps qui se renouvelle et aussi de la vie.
La représentation du renouvellement de la vie et de la répétition cyclique du temps est l’uroboros, le serpent (ou dragon) qui se mord la queue. Il s’agit d’un symbole très ancien, car on le retrouve déjà dans l’Égypte ancienne sous forme, par exemple, de bracelet. Et au Moyen Âge, avec son corps qui devient un cercle, on retrouve l’uroboros souvent représenté dans les miniatures.

On croyait que l’uroboros, assimilé à une lézard, avait la capacité de récupérer sa queue perdue. Il était également largement admis que l’uroboros, en se repliant sur lui-même et en suçant sa queue, retrouvait ses forces vitales. C’était précisément là que se trouvait un principe vital qui, une fois absorbé, permettrait à la créature de se régénérer. D’où le sens des représentations de l’uroboros dans les textes d’alchimie.
Le principe de l’uroboros serpent se retrouve dans de nombreux autres êtres représentés en train de se mordre la queue.
Un écho se retrouve également dans les représentations de personnages en forme de coude, comme c’est le cas du chien, de l’homme et de la sérénité dans les médaillons du portail de Vézelay.

L’anfisbène, qui est une sorte de serpent doté de deux têtes à ses extrémités, est apparenté à l’uroboros. Déjà Pline, dont les commentateurs médiévaux s’inspiraient, était certain de son existence. Brunetto Latini, maître de Dante, écrit que « l’amphisbène est une sorte de serpent qui a deux têtes : l’une à sa place et l’autre dans la queue, et de chaque côté elle peut mordre, et elle court avec agilité, et ses yeux sont brillants comme des bougies ».
Un nœud obtenu par l’intersection de deux amphispines peut être vu à l’intérieur de la cathédrale de Bayeux.

Parfois, on trouve la représentation d’un serpent sous forme de spirale. La spirale est un mouvement, bien que relatif, contrairement au cercle dont le mouvement est sans fin.
La spirale se retrouve parfois dans les pastorales des évêques et des abbés où elle se termine par la représentation d’un serpent ou d’un dragon. Le motif de cette représentation singulière peut être trouvé dans certains passages bibliques qui, dans l’imaginaire médiéval, assimilaient l’image du serpent à celle du Christ.

Le Christ-serpent s’inspire en particulier du récit biblique dans lequel le pharaon demande un prodige à Moïse et Aaron. Sur ordre du Seigneur, ce dernier jette son bâton aux pieds du souverain et celui-ci se transforme en serpent.
« Moïse et Aaron vinrent vers le pharaon et firent ce que le Seigneur avait ordonné. Aaron jeta son bâton devant le Pharaon et devant ses serviteurs, et il devint un serpent.
Mais le Pharaon fit aussi appeler des sages et des enchanteurs, et les magiciens d’Égypte firent de même avec leurs sortilèges. Chacun jeta son bâton qui devint un serpent, mais le bâton d’Aaron avala leurs bâtons.(Exode 7,10-12)
Ici, les exégètes chrétiens ont voulu voir symbolisé le Christ qui, en mourant sur la croix, est victorieux de nos fautes et du mal.
Un deuxième verset est celui de Matthieu 10,16 :
« Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes ».
Et cela explique la présence simultanée des deux animaux, le serpent et la colombe, par exemple, dans la crosse en ivoire de saint Antoine, conservée à Siegburg, en Allemagne, où la colombe est posée sur la tête du serpent. Et c’est évidemment la raison pour laquelle le serpent est souvent représenté pour symboliser la vertu de la patience.
Il convient de noter que, bien que la crosse soit un emblème très ancien, ce sont les Celtes irlandais qui l’ont associée à la figure de l’évêque et qui ont utilisé pour elle le symbole, également typiquement celtique, de la spirale.
Les bâtons en forme de « tau » qui ont précédé les bâtons proprement dits et qui sont décorés de spirales en couronne d’ivoire sont similaires aux bâtons de berger. Leur forme s’inspire du signe « tau » tracé par le prophète Ézéchiel sur le front des Juifs. Un signe dans lequel les Pères ont voulu voir une représentation de la Trinité et, surtout, une préfiguration du crucifix de Jésus-Christ.
Ici, nous voyons un magnifique exemplaire provenant de Jumièges et conservé au musée de Rouen. La figure au centre est un abbé. Nous le reconnaissons au fait qu’il tient la crosse tournée vers lui (si c’était un évêque, ce serait le contraire). C’est la direction du sacrifice de soi et de la mortification. Ici aussi, nous voyons la bête féroce d’un côté et l’agneau de l’autre, avec le sacrifice, à droite, entouré d’un double entrelacement qui reprend la direction de la crosse dans la main de l’abbé au centre.

Il s’agit, en revanche, d’une pastorale italienne du XIIIe siècle dont la volute se termine par la tête d’un dragon, avec ses deux cornes, symbole de la mort qui, avec sa gueule ouverte, menace le Christ-agneau, dont la tête est tournée vers l’arrière en signe d’opposition. Notez les trois appendices du gonfalon que le Christ tient avec sa patte et qui représentent les trois jours que Jésus a passés dans le sépulcre.

Dans le chapitre XXI du livre des Nombres, nous lisons que le Seigneur, pour punir les Israélites qui se plaignaient de Moïse et de Dieu, « envoya au peuple des serpents brûlants : ils mordirent le peuple et beaucoup d’Israélites moururent ».
Repentez-vous, demandent-ils à Moïse d’intercéder. À la demande divine :
« Moïse fit un serpent en bronze et le plaça sur une perche ; si un serpent mordait un homme et que celui-ci regardait le serpent d’airain, il restait en vie ».
(Nombres 21,9)
Dans ce cas, ce sera Jésus lui-même qui s’identifiera au symbole du serpent de Moïse :
« Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le Fils de l’homme, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » (Jean 3, 14-15).
Il était donc naturel d’associer le serpent au Christ qui nous guérit de la morsure du serpent, c’est-à-dire du mal.
Il faut dire que les Pères ont souvent fait preuve de prudence en identifiant la figure du serpent à celle du Christ, tandis que certains milieux gnostiques en sont venus à adorer le serpent en tant que tel. Une hésitation qui découlait également de l’assimilation du serpent au péché.
Par exemple, saint Thomas d’Aquin, commentant le verset de Jean, se sent obligé de préciser que :
« Le serpent en bronze avait la forme d’un serpent, mais il n’avait pas son venin. Ainsi, le Christ, parfaitement innocent, n’a pas voulu être considéré comme l’apparence du péché ».
C’est peut-être à cause de cette ambiguïté et du danger que des superstitions ont pu naître d’un animal aussi énigmatique que les artistes médiévaux ont hésité à reproduire le thème de Moïse et du serpent sur la pierre. Et même Moïse est généralement représenté sous d’autres aspects.
Il existe cependant une représentation célèbre du serpent de Moïse, qui se trouve dans la basilique Sant’Ambrogio à Milan. Il s’agit d’un serpent de facture ancienne qui était probablement autrefois un symbole d’Esculape et qui a même été offert par un empereur byzantin. D’où la croyance, dans le passé, qu’il s’agissait précisément du serpent en bronze de Moïse, à tel point que pendant des siècles, les Milanais lui ont attribué des pouvoirs miraculeux. Une preuve de plus, en somme, pour éviter les représentations de Moïse avec le serpent.

Comme nous l’avons vu dans un autre texte consacré à la figure du lion, dans de nombreuses traditions, le serpent joue le rôle de gardien du lieu sacré. Ou, en particulier, de l’arbre. Il empêche l’homme de s’en approcher ou l’éloigne après l’avoir incité au péché.
C’est le cas de l’histoire d’Adam et Eve racontée dans la Genèse 3,1.2.4.13.14. Il faut dire que, dans ce cas, l’association entre le serpent tentateur de la Genèse et Satan est très tardive. C’est une interprétation qui sera suggérée, dans le domaine biblique, par le texte de la Sagesse. Interprétation qui sera ensuite adoptée par toute la tradition chrétienne. Ce n’est pas un hasard si l’Apocalypse définit Satan comme « le serpent ancien » (Apocalypse 12,9 et 20,2).

Dans le chapitre 12 de l’Apocalypse de Jean, nous trouvons la vision de la femme enceinte et sur le point d’accoucher, vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds et, autour de sa tête, une couronne de douze étoiles (Ap 12,1).
Devant elle se tient
« […] un dragon, rouge feu, à sept têtes et dix cornes. Sur ses têtes se trouvaient sept diadèmes ; sa queue traînait derrière elle le tiers des étoiles du ciel et précipitait ces dernières sur la terre »
(Apocalypse 12,3-4)
Plus loin, Jean explique que le grand dragon est :
« […] le serpent ancien, celui qu’on appelle le diable et Satan ; celui qui trompe toute la terre a été précipité sur la terre et avec lui ont été précipités ses anges ».
(Apocalypse 12,9)
Pour en revenir à la figure du gardien du lieu sacré, l’homme ne peut accéder à l’arbre ou à l’objet divin et à ce qu’il représente qu’au prix d’une lutte acharnée contre des forces mystérieuses et maléfiques. Hercule, pour s’emparer des pommes d’or dans le jardin des Hespérides, doit affronter un monstre, tout comme Jason, pour s’emparer de la toison d’or, est contraint de tuer un dragon.
Les serpents gardent également les symboles qui incarnent le sacré et la connaissance, ainsi que le chemin vers l’immortalité et les trésors des dieux. C’est aussi pour cette raison que, dans l’imaginaire populaire, c’est souvent un serpent qui garde un trésor.
L’art médiéval a souvent représenté le serpent qui tente nos ancêtres près de l’arbre du Paradis terrestre. Et nous la voyons souvent représentée en position verticale, comme pour symboliser le péché d’orgueil par sa position debout, et le désir de revendiquer pour soi les privilèges de Dieu. C’est pourquoi elle a déterminé la rébellion et la chute des anges de Lucifer.

Quoi qu’il en soit, le serpent est considéré comme le dépositaire d’une sagesse supérieure, reçue d’en haut. Étant donné qu’il a la capacité de l’offrir, ou du moins c’est ce qu’on croit, il possède un grand pouvoir de séduction.
Le serpent devient tentateur jusqu’à provoquer, chez un être encore innocent, le péché, comme cela arrive à Adam et Eve.
Dans un chapiteau de l’église Notre-Dame de Moirax, nous voyons les deux ancêtres qui prennent le fruit et, dès qu’ils se rendent compte de leur péché, ils se couvrent de feuilles pour cacher leur nudité. Mais à côté, sur les deux faces complémentaires, est représenté Michel écrasant le dragon. La mort et le mal, introduits par le serpent démoniaque, ne dureront pas éternellement.

C’est aussi pour cette raison que, même si le serpent, comme dans le cas de celui de Moïse, continue à avoir des aspects positifs, il conserve une signification négative dans l’art médiéval.
Dans un chapiteau de Saint-Isidore à Léon (Espagne), la luxure est représentée avec les traits d’un personnage mordu à la tête et à la poitrine par quatre serpents.
Une représentation encore plus explicite se trouve dans le portique de l’abbaye de Saint-Pierre à Moissac, où l’on voit une femme dont les seins et le sexe sont dévorés par des crapauds et des serpents.

Plus ambiguë est la figure du dragon qui, bien qu’associé au démon dans l’Apocalypse de Jean, se retrouve parfois aux côtés de personnages représentés en position ascendante et donc tournés vers le ciel.
C’est clairement le cas du priant de Rozier-Côtes d’Aurec, en France, représenté alors qu’il s’élève vers le ciel, les jambes désormais détachées du sol et, par conséquent, de la matérialité.

L’homme transporté au ciel par des dragons se retrouve avec encore plus de clarté, pour citer un autre exemple, dans un autre chapiteau. Ici, l’être, le regard désormais détaché du monde, s’accroche à des dragons qui ont une queue à trois parties, et le trois est le symbole du ciel.
